La Tête en bas

Tribulations de deux frenchies au pays d'Oz

posté le mercredi 17 juin 2009 à 08:53

Un choix cornélien

Statue d’Aborigene, le long de la Stuart

Depuis notre entrée en territoire aborigène  ̶  au sens où leur culture devient visible [les zones de l’Australie traversées jusqu’ici semblent littéralement avoir effacé toute trace d’Histoire précoloniale, NDR]  ̶  j’ai beau retourner la question dans tous les sens, je ne vois pas d’issue heureuse pour les Abos… A moins peut-être que tous les Blancs prennent leurs cliques et leurs claques et quittent l’Australie. Et encore ! Les dégâts déjà causés sont certainement irréversibles… Pour comprendre le problème, il faut avoir une idée du fonctionnement de la culture aborigène.
 

            A l’origine, le peuple Aborigène est nomade. Formées de chasseurs-cueilleurs, les tribus traversaient tout le territoire australien à la recherche de nourriture et de points d’eau. Loin des « sauvages » décrits par les colons britanniques, les Abos ont développé il y a des milliers d’années [ils occupent l’Australie depuis 10 000 ans] un système social très complexe. Le T…, loi suprême, régit tous les aspects de la vie. Dont la première et la plus essentielle des règles est de préserver l’environnement tel qu’il a toujours été. Ce respect pour la « terre nourricière » va jusqu’à lui demander par la pensée avant de s’asseoir sur le sol.

On sait également que depuis des centaines de générations, ils pratiquent le brûlis dans le désert, ce qui permet à la fois à la végétation épuisée de renaître de plus belle et de réduire le risque d’incendies incontrôlés et dévastateurs.

            Leur religion n’en est pas une au sens où nous la percevons en Occident : il n’y a pas vraiment de dieu(x) à vénérer. Mais si l’on devait la comparer à quelque chose, ce serait certainement un mélange d’animisme et de totémisme, avec peut-être un soupçon de bouddhisme… Pour les Aborigènes, la Terre était au départ une plaine morte, mais sous sa croûte, les hommes, animaux et plantes existaient déjà. C’est le soleil, en réchauffant la Terre, qui les a réveillés. Chaque tribu possède une sorte de totem   ̶  l’Homme-Kangourou, l’Homme-Emeu, l’Homme-Fourmi à miel, etc.  ̶  auquel correspond un « Rêve ». Ce Rêve, qui prend la forme de chants, danses et dessins, raconte l’histoire de cet ancêtre-totem, de son réveil à sa mort. Le Rêve retrace point par point l’itinéraire de cet ancêtre à travers l’Australie, les chemins qu’il a emprunté, les points d’eau qu’il a découverts, les montagnes et plaines qu’il a traversées, les épreuves qu’il a endurées. Ces pistes chantées, comme on les appelle, sont une sorte de carte topographique du pays. Extrêmement sensibles, elles sont gardées secrètes par les anciens de la tribu et révélées avec parcimonie aux membres du clan qui s’en montrent dignes. Ainsi, chaque Aborigène continue d’apprendre tout au long de sa vie. Il est initié petit à petit, on lui confie l’emplacement des sites sacrés reliés au Rêve, il participe aux cérémonies, etc.

            Dans la tribu, les hommes et les femmes, sans être séparés, vivent la plupart du temps chacun de leur côté. Les hommes chassent et les femmes ramassent baies sauvages, maku (vers blancs) et petits animaux. Les enfants passent la plupart du temps avec les séniors qui se chargent de leur éducation, leur enseignent les lois morales et la façon de survivre dans le désert. A leur adolescence, les garçons suivent les hommes et les filles les femmes… afin de poursuivre leur apprentissage. Ainsi, les hommes ignorent tout des sites sacrés des femmes et vice versa.

            Chaque tribu possède son territoire, et il peut y avoir des conflits entre voisins. Mais les Aborigènes ont développé un système pour limiter les rivalités. Tout d’abord, l’inceste étant interdit, chaque homme doit trouver une épouse en dehors de sa tribu. Par conséquent dans la même tribu, tout le monde n’a pas le même Rêve, selon l’endroit où il est né. Ensuite, chaque « directeur de cérémonie » possède un « assistant » issu d’une autre tribu, sans lequel il ne peut en fait prendre aucune décision. Enfin, il y a le walkabout, une sorte de pèlerinage que chaque aborigène devrait faire dans sa vie et qui consiste à refaire tout le chemin de son ancêtre-totem en chantant son Rêve du début à la fin. Pour cela, il faut obtenir la permission des autres tribus pour traverser leur territoire. Une faveur qui sera rendue plus tard pour un autre walkabout… Sans oublier que chaque piste chantée, passant sur plusieurs territoires, est coupée en tronçons : chaque tribu concernée possède un bout de l’histoire, ce qui tend par conséquent à limiter les guerres.

Mais le plus mystérieux avec les pistes chantées, c’est leur caractère universel. En Australie, on dénombre près de 600 dialectes différents. Et pourtant, deux tribus très éloignées, si elles possèdent un Rêve en comment, sont capables de reconnaître ce chant dans une autre langue. Et, selon le rythme, peuvent même retrouver quel tronçon de l’histoire est interprété !

 

Avec tout cela, on comprend mieux pourquoi l’intégration des Aborigènes à la société occidentale est plus que complexe. Bien que les tribus aient cessé d’être nomades, elles continuent de célébrer leurs sites sacrés. Sites en partie détruits ou dénaturés par l’arrivée des Blancs… Difficile aussi pour les Aborigènes de trouver un « travail », lorsque leur loi leur dicte de préserver la nature telle qu’elle est... Difficile de s’intégrer dans une hiérarchie quand sa propre culture ne définit aucun chef… Difficile de comprendre ce monde qui court après le profit et l’argent alors qu’on se satisfait du minimum vital, que certains appellent « pauvreté ». Bref, pour les Aborigènes, intégration signifie sans aucun doute abandon de leur culture, avec toute la perte de connaissance et d’identité que cela implique. Un bien triste présage…

 D. R.  
 


Commentaires

 

LaTeteEnBas  le 24-06-2009 à 08:11:42

Sincerement, je ne suis pas tres optimiste. D'ailleurs, mon texte le montre assez bien je pense. Mais des individualites essayent de faire bouger les choses... et l'histoire a montre que les grands changements viennent toujours de l'action de quelques uns, donc on ne sait jamais ! Il faut esperer...

Mamounette Busterjo  le 18-06-2009 à 12:55:29

Bouhouhou !!!! Je vais pleurer !!!! C'est trop triste..................
On peut faire quelque chose pour Eux ou c'est déjà trop tard ?
Est-ce que le "Nouveau" gouvernement australien est sensibilisé au sort de ce Peuple et mène des actions pour enrayer le phénomène ?
Est-ce que tu sens que ça "peut" ou "va" bouger ou pas ?
"On" s'est bien bougé les fesses pour les Indiens d'Amazonie, alors !....

 
 
 

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