Mais il est un être vivant qui ne trouve pas grâce à leurs yeux : le requin. Chaque année, en Australie, on dénombre une attaque de requin. C’est moins que les crocodiles, les serpents ou voire même les abeilles. Et pourtant, cet unique « affront » prend ici chaque fois des proportions surprenantes au détriment des seigneurs des mers.
Vous imaginerez donc sûrement la force de la vindicte populaire lorsqu’en février, Sydney a essuyé trois attaques de squales… La première, le 11 février, a eu lieu au cœur du port de la ville. Un plongeur de la Navy en exercice a fait la rencontre d’un requin taureau, venu se régaler dans les eaux poissonneuses du port. La bévue de l’animal aura coûté une jambe au plongeur. La seconde attaque a eu lieu le jour suivant, 12 février. Cette fois-ci, un grand requin blanc s’en est pris à un surfeur, à Bondi Beach, la plage branchée de Sydney. Lui aura presque payé de sa main (rattachée grâce à la chirurgie) son imprudence : en Australie, les autorités recommandent fortement de ne pas surfer à l’aube et au crépuscule, période d’activité des requins. La troisième s’est produite il y a quelques jours, toujours aux abords de la mégalopole. Cette fois, c’est un ado de 15 ans qui a été touché, alors qu’il était accompagné de son père.
Selon les scientifiques, la forte présence de gros requins (taureau, tigre et grand blanc), plus importante qu’à l’accoutumée, près des côtes de Nouvelles Galles du Sud, tient au climat. Le mauvais temps des dernières semaines a rapproché vers la côte les courants d’eau froide, charriant ainsi les bancs de poissons et leurs prédateurs.
Trois attaques donc, trois victimes, mais aucun mort. Les Australiens pourraient simplement blâmer le destin, mais une fois de plus leur esprit vengeur frappe. Les requins n’ont qu’à bien se tenir : les Aussies veulent des représailles ! A peine deux jours après les premières attaques, un des journaux nationaux affichait en pleine Une « Shark hunt : "100 killed in one night" » (« Chasse au requin : 100 tués en une nuit »). Et il était si fier, le chasseur, sur son bateau ! Il parlait de devoir : débarrasser les gens de ces bêtes « terrifiantes »… Mais là, qui est le plus terrifiant, le requin ou l’homme qui le traque sans relâche ?
Mais le 25 février, la « Une » d’un canard me scotche littéralement devant le kiosque à journaux. Celle du Daily Telegraph. En fond, une photo d’un requin harponné par une navette. Le titre « Gotcha ! » est accompagné du sous-titre suivant : « Sydney Harbour, 1.15 p.m. How we caught a man-eater terrorising our waters » (« Comment nous avons capturé un mangeur d’homme qui terrorise nos eaux »). Cette « Une » me dégoûte par les termes employés et pourtant par curiosité (et peut-être aussi par intuition), j’achète le Daily.
C’est alors que mon sang de journaliste ne fait qu’un tour… A peine ai-je tourné les pages que je découvre la plus odieuse façon de parvenir à la publication d’un article. Non seulement la « Une » joue sur le sensationnel, la peur du lecteur et la diabolisation du requin (loin de toute objectivité journalistique ET scientifique), mais en plus le sujet a été créé de toute pièce ! En toute simplicité, le rédacteur explique au début de son article que le Daily Telegraph (qui dispose d’un bateau pour tourner des films) a demandé au Guide de la pêche du port de Sydney de le prévenir quand les conditions pour voir un requin seraient réunies. Alerté par ce « gardien des eaux » de la présence en nombre des poissons favoris des squales, le journal est allé poser sa ligne… à laquelle un requin taureau de 2,7 m à 3 m est venu se prendre.
Ainsi, le reportage phare du Daily Telegraph ce jour-là a été monté de toute pièce. Si encore le journaliste avait été sur le bateau d’un pêcheur pour un tout autre sujet, ou même pour « suivre » un chasseur de requin. Mais non ! Cette affaire n’est qu’un horrible traquenard journalistique. Moi qui croyais naïvement que le journaliste se devait d’être le témoin des événements, voilà que celui-ci en devient le créateur… Un créateur qui de plus mystifie et spécule sur son sujet : la fin de l’article sous-entend en effet que le requin taureau au bout de la ligne était le requin qui a attaqué le plongeur dans le port. Quelles preuves ? Une comparaison très approximative de la taille des deux squales. Mais peu importe, il faut un coupable.
Heureusement pour lui, ce requin taureau est finalement parvenu à casser la ligne. Sans quoi on l’aurait certainement exposé à travers la ville avant d’accrocher sa mâchoire au-dessus de l’enseigne du Daily Telegraph.
Delphine Russeil
Commentaires
On a la presse qu'on mérite : les lecteurs du Daily (quelle ligne édito en général ?) veulent des coupables, les voila rassurés (on va pouvoir continuer à siffler des bières et surfer avec un minimum d'angoisse). Ce qui est curieux, c'est en effet cet irrationnel désir de "justice" mal placé (pour les incendis, pour les attaques de requins...) et la supposée naîveté des lecteurs : qui va croire que la mort d'un requin (ou d'une dizaine) va changer quoi que ce soit aux statistiques annuelles de victines de squales (des infos là dessus ?)...
Remarquez, la presse française n'est pas la dernière à surexploiter des anecdotes ou (plus rare) créer un évènement de toutes pièces. Là aussi, la courbe des chiffres de vente du journal à peut être joué un rôle (la poémique sur cette une a-telle eu lieu en Australie : si c'est le cas, le buzz et une réussite pour le Daily). Enfin la législation locale sur la presse permet peut être de franchir plus facilement certaines bornes.
Ma FIFI qui dresse "son poing vengeur" pour défendre la cause des requins !!!! je te reconnais bien là !!!....
Ce type de Presse fait feu de tout bois....du moment que c'est "ce qu'attendent leurs lecteurs".... tu disais précédemment que les Aussies ont besoin de se trouver "des coupables" pour tout....
CITATION : " Moi qui croyais naïvement que le journaliste se devait d’être le témoin des événements, voilà que celui-ci en devient le créateur". Mais Delphine, il n'y a que des journalistes pour croire cela. ce n'est pas comme si PPDA avais fait un faux interwiew avec Fidéle Castro : remarque on reste dans le domaine des REQUINS