A notre arrivée en Australie, la 6 février dernier, nous avons demandé à notre premier hôte, Paul Kennedy, si le racisme était présent dans la société australienne. Il nous a affirmé que non. Et puis, il y a eu cette affaire des gangs de bikers qui s’entretuent et l’émergence (ou la stigmatisation par la presse australienne) de groupes islamistes ou des îles du Pacifique sud (Fidji, Tonga, Samoa). Là, nos souvenirs s’entrechoquent et nous nous rappelons que les deux Coréens que nous avons rencontrés à la Yurtfarm ne se nommaient pas réellement Steve et Charlotte mais Dongyu et InA. Ils avaient décidé de troquer leur patronyme asiatique contre un autre sonnant plus occidental, peut-être pour trouver du travail plus facilement. Encore un exemple, les guichetières de notre banque internationale (HSBC pour ne pas la citée) portaient toutes des prénoms anglo-saxons (Cynthia, Anny…) alors qu’elles étaient toutes elles aussi asiatiques. Drôle de façon d’assimiler les étrangers… Leur faire changer de nom pour qu’ils fassent plus blancs.
Premiers colons et « péril jaune »
Telle est la réalité de l’Australie, même si les mentalités ont quelque peu évoluées depuis une trentaine d’années. L’Histoire de l’Australie de sa politique d’immigration est fascinante et édifiante. Selon les sociologues Jake Najman et John Western, « depuis 1788, la colonie australienne a été développée de manière à ce qu’elle devienne une société blanche très liée à la couronne britannique ». Cette politique passant inéluctablement par l’extermination des aborigènes, dont le nombre est passé de 500 000 en 1788 à 50 000 au début du XIXe siècle. Pour expliquer ce massacre, les gouvernants avançaient les arguments du racisme scientifique : les noirs sont moins intelligents que les blancs. Ils valorisaient aussi le darwinisme social qui prédisait l’extinction de la race aborigène car inférieure aux blancs.
La Grande-Bretagne percevait l’Australie comme un lieu où l’on pouvait envoyer le surplus de population. Ce fut d’abord le tour des convicts (condamnés) et des soldats puis des colons libres. De ce fait, à cette époque, les migrants venaient essentiellement de Grande-Bretagne et d’Irlande. Certains débarquaient tout de même d’Italie et d’Allemagne. Ces derniers rencontraient déjà de l’hostilité et de la discrimination de la part des colons anglo-saxons. Mais ceux qui subissaient le plus le racisme étaient les migrants non-européens comme les Chinois, venus dans les années 1850 au moment de la ruée vers l’or, et les habitants des îles du Pacifique sud, recrutés dans les plantations au début du XIXe siècle. Les Chinois étaient accusés par les mineurs blancs de concurrence déloyale. Ainsi, la Trade Unions, organisation qui gérait le commerce à l’époque, a refusé d’admettre des non-Européens comme membres et a boycotté les biens produits par des travailleurs chinois. Ceux-ci étant employés par des patrons australiens voulant faire baisser les salaires. Cet état de fait a entraîné de violents conflits de classes et a provoqué l’émergence d’un nationalisme australien basé sur le stéréotype du « péril jaune ». Les Australiens ont commencé à se voir comme une nouvelle « branche de la société britannique ».
Un nouvel Etat blanc
En 1901, l’Australie obtient de la reine Victoria le droit de s’auto-administrer. L’une des premières lois votées par le nouveau Parlement fédéral a été « The Immigration Restriction Act », visant à exclure du territoire australien les non-Européens. De ce fait l’immigration a été très faible entre 1890 et 1945. Seuls quelques Italiens ont tenté l’aventure, pour remplacer les travailleurs des îles du Pacifique sud renvoyés chez eux après 1901, dans les plantations de cannes à sucres de l’Etat du Queensland. Ces migrants ont connu de nombreuses discriminations et notamment des lois leur interdisant d’accéder à la propriété ou d’exercer certaines professions. Des affrontements ont même éclatés en 1934 entre immigrés et Australiens, causant la mort de plusieurs personnes. Les réfugiés juifs, fuyant les persécutions après 1933 n’ont, semble-t-il pas été accueillis à bras ouverts. Les Australiens ont gardé une attitude suspicieuse vis-à-vis d’eux. A la fin de la seconde guerre mondiale, l’Australie était une société blanche fière de son héritage britannique et très méfiante vis-à-vis des influences étrangères.
L’essor économique et le besoin de main d’œuvre
Après la deuxième guerre mondiale, les dirigeants australiens se sont aperçus que le pays avait besoin d’une population plus abondante et d’un secteur secondaire (industrie) plus fort car la Grande-Bretagne, à elle seule, ne pouvait plus défendre son ancienne colonie. Un département de l’immigration a donc été mis en place pour favoriser l’afflux d’étrangers. Son slogan était : « Peuple ou périt ». Le programme d’immigration d’après-guerre a été conçu pour maintenir une Australie blanche et britannique, mais le résultat a été le contraire. Le premier ministre de l’immigration, Arthur Calwell, avait promis que pour chaque étranger entré en Australie, il y aurait 10 Britanniques. Mais dès la fin des années 1940, il a été clair que l’immigration britannique ne suffirait pas pour soutenir la croissance économique et démographique du pays. Le « Departement of Immigration » recruta alors des réfugiés baltes et slaves, perçus comme étant « racialement acceptables » et anti-communistes. Si bien qu’entre 1947 et 1951, 180 000 Européens de l’est ont débarqué en Australie, soit 37% des la totalité des migrants. L’Allemagne, les Pays-Bas et la Scandinavie ont également contribué à la croissance démographie de l’Australie durant ces années.
Un virage dans l’immigration s’effectue dans les années 1950. Les Britanniques et Irlandais ne représentent qu’un tiers des migrants tandis que la proportion des Européens de l’Est et de l’Ouest baisse considérablement. En conséquence de quoi, les autorités australiennes autorisent l’entrée sur leur territoire d’Européens du sud, même si ceux-ci n’étaient pas « culturellement acceptables et politiquement suspects », à cause notamment de la forte présence communiste en Italie et en Grèce.
Une immigration à deux vitesses
Pour réguler l’afflux d’Européens du sud, les dirigeants australiens ont décidé de mener une politique d’immigration à deux vitesses. Ainsi les migrants britanniques et du nord de l’Europe pouvaient faire venir leur famille avec eux et possédaient les mêmes droits que les Australiens dès leur arrivée, tandis que le regroupement familial était interdit aux Européens de l’est et du sud. Ces derniers étaient cantonnés aux travaux pénibles et étaient traités comme inférieurs. Mais une classe manque dans ce schéma, ceux qui n’étaient pas admis du tout : les non-blancs et les femmes asiatiques des soldats ayant combattu pendant la deuxième guerre mondiale étaient exclus de la société.
Les années 1950-60 ont vu une explosion de l’immigration, coïncidant avec l’essor économique du pays. Mais il était de plus en plus difficile de retenir les Européens du sud, dont beaucoup retournaient dans leur pays d’origine. Le gouvernement prit donc de nouvelles mesures libéralisant le regroupement familial et recrutant en Yougoslavie et en Amérique latine.
Comme en Europe et dans le reste de l’occident, les années 1970 sont marquées en Australie par plusieurs récessions. Les délocalisations en Asie ont fait perdre de nombreux emplois au secteur industriel. Le gouvernement travailliste de Whitlam (1972-75) réduit alors l’immigration à 50 000 nouveaux arrivants par an. Ceux-ci devront, de plus, posséder un haut niveau de compétence. Les années 1970 signifient également la fin de l’Australie blanche. Le gouvernement Whitlam introduit une politique d’immigration non-discriminatoire. De nombreux Vietnamiens entrent saisissent l’occasion pour tenter leur chance au pays d’Oz. Autre élément marquant de cette décennie, la naissance du concept de multiculturalisme en Australie. Cette idée a d’abord été lancée par le parti travailliste et a été repris par les conservateurs pour le multiculturalisme est un moyen de maintenir la cohésion sociale dans une société ethniquement variée.
Le renouveau du racisme
Le racisme a joué un rôle très important lors des élections fédérales de mars 1996. Plusieurs candidats conservateurs ont critiqué les aides spéciales attribuées aux minorités par le gouvernement travailliste. Une de ces candidates dans le Queensland, Pauline Hanson, a tellement vertement critiqué les aides versées aux aborigènes qu’elle a été démise de sa candidature par son propre parti. Mais elle a tout de même remporté le siège en tant qu’indépendante. Les discours anti-minorités étaient donc bien acceptés par une large part de la population. Les attaques racistes contre les aborigènes et les Asiatiques se multiplièrent durant cette période. En septembre 1996 lors d’un discours au Parlement, Hanson attaqua le peuple aborigène, appela à l’arrêt de l’immigration, à l’abolition du multiculturalisme et s’est avérée inquiète de « l’asiatisation » de l’Australie. Ce racisme est né, selon Najman et Western, « dans les classes moyennes qui, selon elles, sont des travailleurs durs et qui ne sont pas récompensés par l’Etat contrairement aux minorités qui, elles, sont aidées. »
Ce n’est qu’au début des années 1990 que le premier ministre, Paul Keating, a encouragé un débat sur le processus de réconciliation avec les aborigènes. En janvier 2008, le nouveau premier ministre travailliste, Kevin Rudd, s’est excusé, au nom de l’Australie, auprès du peuple aborigène pour toutes les atrocités commises envers lui.
Aujourd’hui, ce sont les musulmans qui sont les cibles des attaques racistes. Comme le signale Mike Shepherd : « Il y a toujours eu du racisme en Australie. Dans les années 1950-60, c’était contre les Polonais et les Italiens. Puis ce fut le tour des Coréens et des Asiatiques de le subir. Mais après quelques années dans le pays, les gens se rendent compte qu’ils sont comme nous. Maintenant c’est contre les musulmans à cause des attentats du 11 septembre, de Londres, de Madrid et en Asie (Pakistan, Inde…). Tous les musulmans ne sont pas terroristes mais beaucoup de terroristes sont musulmans ».
L’Histoire est un éternel recommencement mais aujourd’hui ce n’est plus une nationalité qui est attaquée mais une religion et ses adeptes. Les jeux de Rome ne sont pas si loin, quand on jetait les chrétiens dans l’arène avec les fauves…
Ludovic OLIVO
Commentaires
katell le 21-04-2009 à 15:06:25
coucou ludo et delphine
je suis impressionnée par votre documentation et surtout votre retrancription . N'est pas journaliste qui veut. J'espère que vous êtes content de votre séjour. Il faudra faire un exposé à l'utl de châtelaudren comme ça je viendrai vous voir. je vous fais de gros bisous.
Katell
Mamounette Busterjo le 20-04-2009 à 20:05:09
Et oui l'être humain a non seulement la mémoire courte, mais il a toujours besoin de "boucs émissaires" ou "tête de turcs" (d'où l'expression) pour exorciser ses peurs....La xénophobie et le racisme sont des phénomènes de tout temps, de toute couleur, de toute race, de toute religion...
C'est pourquoi = enseigner l'Histoire du monde (de France et "d'Ailleurs") est plus que jamais important pour faire de temps en temps des "piqûres de rappel" à l'humanité soit-disant bien pensante qui se croit supérieure !
Bisous
Mumm
édité le 20-04-2009 à 20:06:48
tontonsam le 19-04-2009 à 18:46:32
Interessant tout ça. En ce moment je decouvre le racisme en martinique et en visitant la savane des esclaves (je recommande fortement) l'explication d'un antillais était tres simple: l'education nationale apprend l'histoire de france aux antillais sans expliquer l'histoire des antilles. D'ou un certain malaise pour un peuple encore tout jeune en quête d'identité.
PS: les premieres personnes à être exploitées sur l'île (pas au même titre que les esclave noir) étaient des bretons et des normands...
amad le 15-04-2009 à 10:50:49
Salut les touristes.
Un petit mot sur l'histoire de la politique australienne d'immigration : il faut distinguer la xénophobie du racisme (c'est idem en France) : quelle que soit sa couleur de peau, un nouvel arrivant est (quasi) toujours confronté à la peur de l'étranger (xénophobie). Après une génération, cette xénophobe disparait pour parfois laisser place au racisme : le problème est lié à la couleur de peau (délit de faciès).
En ce sens, l'Australie n'a rien à envier à la France : un Guadeloupéen est victime de racisme, non de xénophobie (et leur paronyme ne change rien). Quand aux vagues de xémophobie et de racisme, elles sont surtout liées aux aléas de l'économie : l'immigration est sussitée et l'intégration aisée pendant les periodes de croissance. En dépression, les travailleurs "nationaux" et immigrés (ou issus de l'immigrations) sont en concurrence sur le marché du travail, d'où des tentions.
Enfin, même en Australie, le concept de racisme est (à juste titre) tabou : on ne se revendique pas raciste (a part quelques exeptions extrémistes), mais on pratique le racisme, parfois sans le savoir...
Bonne continuation